portrait: Gloire à la Pionnière sans gloire!

Publié le 23 Avril 2014 à 22:27

 Nous faisons aujourd’hui un portrait-hommage à l’une des célébrités de a région, une « héroïne sans gloire » parce qu’elle a choisi de travailler loin des feux de la rampe, convaincue que l’essentiel est dans le partage et non dans tel ou tel CV. Mme Hadda, Mi Hadda, si elle avait voulu aurait fait fortune, d’autant qu’elle était parmi la première dizaine de sages-femmes du Maroc à professer dans un domaine où la demande est pressante, seulement elle a opté pour le service public et y restée jusqu’à sa dédaigneuse mise en retraite. C’est pourquoi en collaboration avec tous ses enfants qu’elle a vu venir au monde, nous lui rendons ici un peu de ce qu’elle a toujours donné sans compter. Gloire à elle et longue vie, n’en déplaise à l’ingratitude administrative.

       

Qui est Lhajja Hadda ?

Je m’appelle ADAMRIAZEM Hadda, je suis né en 1939, j’ai fais mes études primaires d’abord à Demnat jusqu’en cinquième. Mon père était soldat et il se déplaçait sans cesse. Mes études secondaires je les ai faites à Troudant jusqu’au brevet, je devais en principe rejoindre Marrakech pour finir mes études, mais un concours fut organisé à l’époque pour formation qui manquaient dans le pays à ce moment-là. Je suis présentée, nous étions à peu près une dizaine de diverses régions du Maroc et l’examen se passait à Agadir. J’étais parmi les quatre originaires de Taroudant qui furent prises, les autres venaient de Séfrou, de Meknès et de Casablanca. La formation se fit alors à Taroudant sous la tutelle de l’école des sages femmes de Grenoble. Nous avons suivi pendant une année une formation d’infirmière et pendant les deux années suivantes étaient consacrées à notre formation comme sages femmes. Le diplôme de fin de formation avec le statut de « moualidat » et non de sage femme, nous fut remis par le Dr Ben Hima

Je fus affecté après l’examen final, à Taroudant avec les religieuses. Au mois de juillet, mon père demanda une mutation, et ensemble nous avons rejoint Béni Mellal, à l’époque je n’étais pas encore mariée. Une fois à Béni Mellal, j’assurai la garde comme sage femme en alternance avec une française qui exerçait avant moi à l’hôpital provincial où il y avait besoin d’anesthésiste à l’époque. J’ai alors passé l’examen de l’école des cadres et suivi une formation accélérée de neuf mois à Casablanca à l’hôpital Mourizgo Ibno Rochd. De retour, j’ai assuré une double fonction, celle de sage femme et celle d’anesthésiste, bien sûr on travaillait jour et nuit. En 1971, il y avait encore un grand manque d’anesthésiste  même à Casablanca, j’y fus affectée pour une période de dix mois, en attendant de réintégrer mon poste à Béni Mellal après la sortie de la nouvelle promotion. Depuis j’assure mon service jour et nuit, comme sage femme et comme anesthésiste au bloc opératoire, un travail à horaire continu « il n’y avait pas de récupération, en cas de besoin », quand il avait un moment de répit on en profitait pour manger un morceau ou se reposer un peu. Bien sûr, c’était un travail de groupe où l’on donnait sans compter. Le besoin s’est fait sentir en 1998 d’ouvrir un centre de référence de planing familial, j’y fus nommée comme major ; je n’en occupais, je faisais des tournée dans les douars pour poser les stérilets  aux femmes et distribuer la pilule. J’étais accompagnée par une collègue, on se déplaçait en voiture de service vers tous les douars : Oulad Ali, Azilal, Tlouguite. C’était ainsi jusqu’à ma retraite en 1991. C’est là mon parcours.

Combien d’enfants avez-vous mis au monde Lhajja ?

En 1956 j’ai fait l’école; en 1975, j’ai commencé les accouchements ; je ne peux donc dire, mais ça doit être un millier ; je ne peux pas compter en centaines, mais en millier.

Quel était votre sentiment à chaque fois qu’un enfant venait au monde ?

Pour vous revenir à la question du nombre, il m’arrive parfois de rencontrer des gens dont je me souviens plus et on me les présente comme mes enfants. Une fois je passais près du marché, je croisai alors des française qui travaillaient au lycée Hassan II, à l’époque, il y avait des français, des juifs…l’une d’entre elle m’aborda et me demanda :

- madame, est-ce que je pourrais vous parler ?

-Bien sûr, j’ai répondu.

- Vous êtes madame Hadda ?

-Oui, j’ai répondu.

- Voilà mes deux enfants que vous avez accouchés à l’hôpital, m’a-t-elle dit en me présentant ses deux enfants. Voilà, je vous ai vu par hasard et j’ai dit à me enfants voilà la sage femme qui m’a accouchée.

 

- Tous à l’heure Lhajja, vous avez employé une expression très significative, vous avez dit que lorsque l’enfant vient au monde, ce n’est pas le visage de sa maman qu’il voit, c’est celui de la sage femme qu’il voit d’abord.

- c’est un plaisir quand vous voyez un enfant qui nait! c’est éblouissant ! ça fait plaisir un enfant qui crie. Pour moi, c’est un cri de joie. Avec plaisir, je montre cette enfant à sa mère et son père, c’est votre progéniture ! je leur dit, soyez heureux ! et que cette enfant soit heureux aussi ! il est sûr que si les parents ne sont pas heureux de cet événement, l’enfant ne le sera pas non plus. Profitez d’avoir mis cette progéniture au monde et occupez-vous en.

-Lhajja ; mis à part cette joie de faire venir des enfants aux monde, qu’en est-il de votre relation à l’administration ?

- vous savez à l’administration ils sont indifférents, ils ne voient pas le plaisir que vous avez à faire votre travail. Ce n’est pas tant par obligation qu’on travaille 8 heures par jour sans ronchonner. C’est surtout par plaisir qu’on le fait parce qu’on aime le faire sans même penser aux honoraires. Pour vous dire, pendant toutes ces années de travail, tout ce que je possède, c’est une maison que j’ai payée pendant dix ans aux domaines. Je ne possède rien d’autre ; j’ai payé leurs études à mes enfants, je me suis consacrée à mon travail et je n’ai aucune autre ressource sauf l’aide de Dieu. Je me contente de cette petite retraite,  je m’en contente, je vis avec ! mes enfants, grâce à Dieu, s’en sont sorti. Mais ça fait plaisir de voir encore des gens reconnaissant qui viennent me dire « voilà, celui-là c’est votre enfant, c’est vous qui l’avez mis au monde ! », des gens à qui je dis aujourd’hui (à travers cette  interview), si vous m’entendez, priez pour moi ! Grâce à Dieu, parmi tous ces enfants, il y a des médecins, des pilotes, des infirmiers. Un jour j’ai pris un taxi, le chauffeur a refusé de se faire payé, parce que m’a-t-il dit « c’est vous qui m’avez aidé à venir au monde, et aujourd’hui, j’ai ma licence en anglais ». Des choses comme cela me font plaisir et m’honorent.

-Si vous voulez bien Lhajja, je voudrais bien revenir sur cette question de la retraite. Qu’est-ce que l’administration a fait pour vous en cette occasion ?

-j’ai reçu l’avis de ma mise en retraite, et je m’en suis allée ! ni moins, ni plus (elle frotte une main contre l’autre comme pour dire je suis sortie sans rien dans la main), même pas un au-revoir, ni de la part du personnel, ni de la part des majors collègues. Pourtant, même si je ne devais m’occuper que d’administration comme major, j’endossai mon tablier quand il y avait beaucoup de travail et je me mettais à la besogne sans considération de rangs ou de statut, pour éviter qu’ « une femme au travail » ne soit livrée à elle-même. Aujourd’hui, malheureusement, des femmes accouchent par terre ou aux toilettes. Une fois, j’étais partie accompagner une femme démunie de Oulad Moussa. Juste devant la salle d’accouchement, elle fut prise de convulsions. Je fis remarquer à la jeune sage femme de garde que la dame était sur le point d’accoucher. Elle me répondit dédaigneusement que non, parce que celle-ci avait des convulsions depuis le matin.  Quelques minutes après, la femme mis au monde son enfant devant la salle d’accouchement. Je lui ai venu en aide, j’ai pris le bébé, fait couper le cordon et coucher la patiente dans un lit. Toute cette négligence, fait mal au cœur ! ça me fait mal au cœur !je suis sûre qu’elle était indifférente ; mais après, elle se soucia bien plus des complications administratives que cet événement pouvait générer, que de d’assumer sa responsabilité. Je l’ai rassurée en lui disant qu’elle n’avait rien à craindre de ma part et que ce qui m’importait c’était  simplement qu’elle  apprenne à aimer ce qu’elle fait, rien de plus.

- Vous m’avez aussi Lhajja que vous continuez à exercer même après la retraite.

Oui, si l’on a besoin de moi, je réponds toujours présente là où on a besoin de moi. Cela me fait plaisir !le Dr Cherkaoui, par exemple est un bienfaiteur qui n’hésite pas à me recevoir quand j’accompagne une femme dans le besoin. Bien sûr, moi je n’ai pas les moyens de faire toute seule du social, mais je mets mon expérience au service de ceux qui en ont besoin et je n’hésite pas à mettre en relation ceux qui sont dans le besoin avec ceux qui voudraient bien leur venir en aide. Je me rappelle le cas d’une femme de Ait Aatab, qui n’a pas les moyens de se procurer le traitement nécessaire, et comme les gens de bien ne manquent pas, j’ai soumis son dossier au Docteur***, un bienfaiteur connu, et l’affaire fut réglée. Il en est de même avec le professeur universitaire M.***. C’est tout ce que je peux faire actuellement, mais ça reste un  plaisir pour moi de me mettre au service des autres à n’importe quelle heure, pourvu que les gens sollicités acceptent d’octroyer de l’aide.

- Une dernière question Lhajja avant de conclure ; pour vous où réside le problème de la santé au Maroc aujourd’hui ?

-Je crois que le personnel est dépassé, parce qu’il insensé que seules deux sages femmes soient de garde toute la nuit pour s’occuper de seize à vingt accouchements, dans une région aussi vaste, ce n’est pas suffisant !. Cela ne peut que les dépasser ! c’est peut-être cela qui fait qu’elles ne soient pas accueillantes, elles se sentent dépassées et reçoivent mal les patientes et d’autre part, il y a la corruption, ce problème qui fait mal. Comme on sait, les accouchements et les opérations césariennes sont gratuits, on constate malheureusement que certains tiennent encore à soutirer de l’argent à de pauvres gens, car ce sont finalement les pauvres qui recourent à l’hôpital public ; ceux qui disposent de moyens, qui sont couverts par la mutuelle ou la CNSS, vont chercher les soins auprès du privé. Contrairement à la déontologie, certains continuent aujourd’hui à passer le pourboire avant l’assistance des malades, alors qu’un bouquet de fleurs ou du chocolat ferait l’affaire. De mon temps, c’étaient les sages femmes qui faisaient des cadeaux aux nouveau-nés et aux mamans. J’ai un salaire pour mon travail ; mais la vie n’a pas de prix.

 

 








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